Droits des peuples, droits des hommes

Publié le par Delanoe 74

Retour de Tunisie. J’y ai vu un peuple libre, qui, par son ardeur et son audace, a su redevenir maître de son destin. Rien n’est acquis, certes, et bien des embûches subsistent sur la route de la démocratie. Mais une chose, au moins, est prouvée à la face du monde : aucune oppression n’est irréversible, et rien ne résiste à la volonté de vivre.

 

C’est le sens du combat que mènent aujourd’hui les peuples arabes. Et ce que je veux leur dire, à tous, et sans vouloir comparer des situations qui ne sont pas comparables, c’est d’abord mon admiration. Leur courage, leur détermination, leur humble fierté ont quelque chose de bouleversant. En Libye, au moment même où j’écris ces lignes, un dictateur, dans le silence de l’abjection, massacre son peuple. Mais quand un régime n’est plus animé que par la peur de disparaître, et quand la seule passion qui le porte encore est la haine de son propre pays, c’est que sa fin est proche. Les révolutions, les vraies, sont inexorables.

 

Quel est, dans ce contexte, le devoir des démocraties ? D’abord, de trouver la bonne distance. Entre le silence complice et l’ingérence désordonnée, la voie de la dignité existe. Respecter les peuples, les comprendre, sans prétendre leur dicter leur destin, impose de tirer, dès aujourd’hui, quelques leçons de cette histoire qui commence à peine et qui s’écrit sous nos yeux. En voici quelques-unes.

 

  1. La démocratie est une valeur universelle, et une aspiration légitime, pour toutes les femmes et tous les hommes. Ce printemps arabe est la plus belle des réponses aux idéologues de fortune qui prétendaient depuis des années que certains peuples n’étaient pas « mûrs » pour la liberté… Pour pouvoir exiger de jouir des droits de l’Homme, il n’y a pas à être « mûr »,  il suffit d’être Homme. Et cela vaut partout dans le monde.
  2. Les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Bahreiniens, les Yéménites, les Algériens, les Marocains, et au-delà même du monde arabe les Iraniens, sont en train d’apporter un démenti cinglant à ceux qui croyaient que le seul choix possible, sur toute une partie de la planète, opposait la dictature à l’islamisme. Car ces foules innombrables ne se sont pas rassemblées derrière les slogans de l’intégrisme ni les appels à la haine, mais autour des valeurs de la liberté. Ce sont des révolutions sans leader, sans embrigadement, et sans boucs émissaires, menées par une jeunesse qui n’a jamais rien connu d’autre que les tyrans, et qui aspire, simplement, à choisir son propre avenir.
  3. Cela, bien sûr, n’interdit pas la lucidité. Des dangers de tous ordres existent, et l’islamisme en fait évidemment partie. Mais la démocratie n’est pas le problème : elle est le remède. Les élections libres sont la plus sûre des réponses, non seulement aux malheurs des peuples, mais à leurs excès : elles offrent un horizon, un cadre, et un espoir. Si tous les mouvements politiques peuvent s’exprimer et se comparer devant des citoyens libres et informés, la raison aura les moyens et la force de l’emporter. Seuls les peuples désarmeront les populismes.
  4. Pour l’équilibre de la région, pour la sécurité de tous les Etats qui la composent, mieux vaut des démocraties que des dictatures, en fonction d’une règle simple et partout vérifiée : les démocraties trouvent plus facilement les chemins de la paix.

La realpolitik a désormais un nouveau moteur, qui est la liberté... Le réalisme lui-même impose de ne plus écouter seulement les régimes autoritaires, mais de savoir entendre les citoyens opprimés. Car nous le savons désormais : ce sont eux, en définitive, qui l’emportent. Quand bien même nos diplomaties ne suivrait que leurs intérêts, ce sont aussi ces intérêts, précisément, qui commandent de ne pas choisir le camp des dictateurs, et de savoir leur dire leur fait. Barack Obama en a eu le courage, y compris avec la Chine. Est-ce rêver que d’espérer de la France et de l’Europe la même hauteur de vues et la même sagesse ?

 

L’histoire est en marche. Et le moins que nous devons à ces peuples sans armes qui se battent avec héroïsme au nom de l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, c’est de respecter cette idée. C’est, en un mot, de renouer avec une diplomatie de la dignité.

 

Bertrand Delanoë

 

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