Défense et illustration de la langue française

Publié le par Delanoe 74

 

Dans Le Monde du 8 juillet dernier, deux anciens ministres des affaires étrangères, dont l'autorité et la légitimité ne sont pas discutables, s'inquiétaient de « l'affaiblissement » de la diplomatie française. Je ne chercherai pas ici à instruire à mon tour ce procès global, et encore moins à être désobligeant pour les personnes. Mais il est temps de tirer la sonnette d'alarme sur un sujet précis et grave : l'effacement, progressif et programmé, de notre diplomatie culturelle.

 

Au 21ème siècle, l'influence d'une grande démocratie en-dehors de ses frontières ne passe plus par la conquête, par les armes, par l'intimidation, ni par la force. Elle dépend, bien sûr, du dynamisme économique et de la puissance commerciale. Mais elle se fonde, d'abord, sur la culture. La France au-delà de la France, le visage de notre pays dans le monde, sa présence, ou, si l'on veut- pour reprendre un terme en vogue- son « identité », c'est d'abord le rayonnement de sa langue, de sa littérature, de sa musique, de son cinéma….

 

Or, je le mesure constamment, en particulier à travers mes fonctions de président de l'Association internationale des maires francophones : les réseaux culturels français dans le monde s'étiolent à un rythme alarmant. C'est le commencement de ce qu'il faut bien appeler un certain déclin, dont je relèverai ici trois symptômes.


- Le budget des actions culturelles françaises à l'étranger a été réduit, selon les pays, de 30 à 50%. Le résultat, c'est qu'il y a des endroits dans le monde où les centres culturels, comme les instituts français, ne peuvent plus assurer leurs missions. En Afrique notamment, la culture française, qui a besoin de personnels et de moyens pour assurer sa pérennité, son expression et sa diffusion, risque d'être engloutie par l'uniformité anglophone de la mondialisation.

 

- Deuxième source d'inquiétude : l'avenir des lycées français. Leur noblesse, c'était d'avoir toujours su remplir deux fonctions : d'une part, bien entendu, accueillir les enfants de nos compatriotes expatriés, mais aussi donner l'occasion à des élèves venus du monde entier de découvrir la langue et la culture françaises. Or une décision, contreproductive et largement démagogique, est venue bouleverser cet équilibre : le gouvernement a instauré la gratuité de l'inscription pour tous les enfants français. Ce nouveau dispositif, préféré à une tarification juste, progressive et indexée sur les revenus des parents, aura (a largement déjà) une conséquence néfaste : il introduit une inégalité fondamentale entre les Français et les autres. Ainsi s'impose l'idée que les lycées français n'existent que pour la scolarité des petits Français- ce qui est leur fonction première, mais ne devrait pas être leur rôle exclusif.

 

- Troisième symptôme : la direction générale du Quai d'Orsay en charge des réseaux culturels et de la coopération, a été fusionnée, l'année dernière, avec la direction économique, comme si la culture n'était qu'un produit d'exportation, voire une simple branche de l'attractivité commerciale.

 

On pourrait ainsi multiplier les exemples de cet affaiblissement, depuis les coups portés à l'Alliance française (Erik Orsenna et Bernard Pivot ont publié sur ce sujet, il y a trois mois, un appel retentissant) jusqu'aux menaces qui pèsent sur l'avenir de Cultures France, l'opérateur public dédié aux échanges culturels à l'étranger. En décembre dernier, le cercle Paul Claudel- qui rassemble des diplomates soucieux du sens et de l'avenir de leur vocation- demandait solennellement « que cesse ce démantèlement et soit reposée la question de l'avenir du réseau culturel français dans le monde ».

 

Cette question, je la pose aujourd'hui, avec gravité. Si notre pays, qui représente 1% de la population mondiale, est tellement plus grand que lui-même, c'est parce qu'il a su, pendant des siècles, sur tous les continents, « défendre et illustrer »- selon l'expression de du Bellay- sa langue, mais aussi son art de vivre, son âme, en un mot sa culture. Si cette ambition et cette générosité devaient, elles aussi, être englouties par la logique comptable et clientéliste qui semble désormais s'imposer partout, le dommage serait irréversible. Il est temps d'en prendre conscience.

 

 

Bertrand Delanoë

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