Réponse de Bertrand à Ségolène

Publié le par Delanoe 74

Paris, le 13 novembre 2008


Chère Ségolène,

Je te remercie pour ta lettre du 12 novembre. J’apprécie l’attention que tu portes aux attentes que j’ai exprimées au nom de nos camarades de la motion A.
Je souhaite donc te répondre à mon tour, en toute franchise, pour contribuer à un congrès utile aux Français.

Sur la cohérence entre les déclarations faites dans l’opposition et leur mise en œuvre effective une fois de retour au pouvoir, je suis sensible à l’articulation que tu établis entre capacité d’indignation et propositions crédibles, même si la « radicalité » que tu évoques a souvent, par le passé, conduit à des engagements difficiles à tenir dans les faits. Je crains d’ailleurs que l’exemple que tu cites, celui des interdictions de licenciements, n’illustre un tel écueil si nous n’y prenons garde.

Sur la social-démocratie, notre différence ne porte peut-être pas seulement sur les mots et j’en suis d’autant plus étonné que lors de ta campagne présidentielle tu te référais à juste titre au modèle scandinave. Aujourd’hui, dans ta lettre, tu qualifies la social- démocratie de « très insuffisante » après l’avoir tenue récemment pour « périmée », sans dessiner pour autant une alternative véritablement identifiée à ce stade. En effet, la social-démocratie prône, sauf erreur de ma part, l’intervention de la puissance publique dans l’économie de marché, ainsi que l’établissement d’un rapport de forces au nom de la justice sociale. Elle affirme le rôle de l’Etat, et pas seulement, dans une perspective redistributive, ce qui nous conduit à proposer, dans notre motion, le concept « d’Etat prévoyant ». La crise mondiale a d’ailleurs illustré la pertinence d’une telle vision, confrontant de fait, les socialistes à un défi décisif : rendre désormais cette démarche applicable à l’échelle européenne. Je ne vois d’ailleurs aucune autre méthode susceptible de donner une réponse de gauche à la récession actuelle. Dans ces conditions, plutôt que d’évoquer ce dessein au passé, je crois plus pertinent que jamais de renforcer le dialogue et le partenariat avec nos amis sociaux démocrates européens, au nom d’un nouveau modèle de développement.

Sur l’Europe précisément, la franchise m’oblige, à la lecture de ta lettre, à t’avouer une forme de déception. L’engagement européen est indissociable de l’idéal socialiste. Nous devons le mettre au cœur de notre projet, et d’abord, l’affronter avec lucidité et avec conviction. La motion A défend l’idée d’une véritable Europe politique, dotée d’institutions solides, d’un Parlement souverain, avec une Commission responsable devant lui. C’est ainsi que nous nous donnerons les moyens de construire enfin l’Europe sociale. Nous portons également l’idée d’un emprunt européen pour l’innovation, la recherche et l’aide aux PME. Bien sûr, il faut que l’Europe change, et notamment qu’elle donne plus de place à la solidarité. Mais pour cela, nous devons nous entendre sur quelques principes clairs en-dehors desquels l’Europe n’aura, pour ses citoyens, ni efficacité, ni réalité.

Sur la conception même du PS, en mettant en garde contre le risque d’un parti de supporters, nous avons voulu exprimer la conviction que notre parti doit être un lieu d’échanges, de débat et de réflexion, un espace qui offre de vrais repères idéologiques, non seulement à ses adhérents, mais aussi aux Français eux-mêmes. Nous pensons qu’il faut l’ouvrir à toutes les forces de la société, syndicales, associatives, militantes, ainsi qu’aux autres partis progressistes européens et mondiaux. Quant à la question des cotisations, il faudra sans nul doute en améliorer le fonctionnement actuel, mais dans le respect d’un principe auquel nous sommes attachés, celui de la progressivité.

Sur les alliances, nous devons être parfaitement clairs. La position que nous avons exprimée est d’autant moins un prétexte, que je l’ai personnellement mise en œuvre à Paris. C’est à nos yeux l’identité même du PS qui est en jeu, ainsi que notre devoir collectif de combattre l’idée pernicieuse selon laquelle la gauche et la droite, cela reviendrait au même. Une alliance avec le MODEM, dont le succès, soit dit en passant, passe par notre échec et par conséquent par le prolongement d’une telle confusion, nous semble donc non seulement inappropriée mais dangereuse.

En somme, face aux enjeux qui nous attendent et dont la crise financière accentue terriblement l’urgence, notre approche et nos réponses traduisent des différences qui n’ont rien de médiocres et dont je suis heureux que nous puissions les confronter sereinement. Et ce constat ne retire rien au fait que socialistes, nous sommes résolument engagés dans un combat commun contre la droite et la politique brutale qu’elle conduit actuellement.

Te renouvelant mes remerciements pour la lettre que tu m’as adressée, et m’inscrivant pleinement dans cette logique d’échange, je te prie de recevoir, chère Ségolène, l’assurance de mes sentiments bien cordiaux.

Bertrand DELANOË

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